PLONGÉE DANS DIOULACOLON
Quand l'émigration clandestine chasse la jeunesse
Le rêve de tout jeune de Dioulacolon (le puits du vendeur en mandingue) est d'emprunter le chemin de l'émigration clandestine pour se trouver un Eldorado au prix même de sa vie. Cette localité,chef- lieu d'arrondissement de la région de Kolda, compte près de 58 479 habitants pour 256 villages et s'étend sur une superficie d'environ 1163 Km2. Elle polarise quatre communautés rurales. Plongée dans un coin du Sénégal où l'émigration clandestine est perçue comme la voie du salut.
Dioulacolon fait partie des localités où les jeunes sont adeptes au phénomène Barça ou « Barsakh ». Du fait de la pauvreté, ils se sentent obligés de partir à la recherche de l'Eldorado. Amadou Baldé, âgé de 28 ans, est membre d'une famille dont deux sont partis à l'aventure, son père et un de ses frères. Le jeune homme raconte que l'argent qu’envoient ces derniers, aide à entretenir autant la cellule familiale que la communauté. « Mon père Amadou Baldé a fait 25 ans au Koweït, il est un véritable soutien de famille pour nous qui sommes restés au pays. Chaque mois, il nous envoie de l'argent. Dans le village aussi, il aide les gens qui ont des difficultés à joindre les deux bouts, et aussi à avoir du matériel pour la sonorisation de la mosquée. Pendant les vacances, il finance les jeunes à travers les Associations sportives et culturelles (Asc) », a confié notre interlocuteur. C'est pour suivre l'exemple de son papa, que ce jeune a décidé de partir à l'aventure. Il est convaincu que l'émigration est la seule porte de salut pour mettre fin à son calvaire.
Amadou Baldé est d'avis que les autorités ne veulent pas investir dans leur localité. D'après lui, il y a toujours un décalage entre leurs propos et leurs actes. « Il est difficile de voir les jeunes des autres villages environnants tenter l'aventure, la réussir et envoyer beaucoup d'argent à leurs parents. C'est pourquoi, l'on se dit pourquoi pas moi ». Confie t-il. Malheureusement pour lui, toutes ses trois tentatives ont été des échecs. Il ne verra pas de sitôt l'Espagne. Trouvé dans la maison familiale, Amadou nous raconte sa mésaventure les larmes aux yeux : « Je me suis rendu dans un premier temps à Dakar. Deux semaines après, un ami m'a informé que la voie en passant par le Cap-Vert était plus propice pour réussir à rallier l'Europe. Pour ce qui est du billet, j'ai pu l'avoir grâce à l'aide de mon père. Entre temps, quelques semaines après, un autre de mes amis m'a signalé que le voyage par la Mauritanie était plus rapide puisqu'en un temps record, on se trouve sur le large des côtes espagnoles ». Et notre interlocuteur d'ajouter : « Sur place dans ce pays, je me suis rendu compte que la réalité était tout autre. Informés des difficultés et autres tracasseries du voyage via le Sahara, avec deux de mes amis nous avons renoncé et réclamé nos sous aux organisateurs du voyage ». Cette mésaventure n'a pas fait renoncer à ce téméraire qui à deux reprises, a tenté de braver l'Océan Atlantique. « Ce fut encore un échec », se désole-t-il. «J'avais réussi cependant à aller jusqu'en Dahala aux larges du Maroc. De là-bas, j'avais informé mon père qu'on m'avait demandé environ 3000 Euros. Mais, trois jours après avoir reçu la somme d'argent, il y a eu une attaque forcée et nous avons voulu en profiter pour passer. Mais, malheureusement nous avons été appréhendés par les gardes côtes marocaines », explique avec regret le jeune koldois. Heureusement pour lui durant tout ce temps, il avait bien caché son argent. Toujours dans son fouladou natal, il attend avec impatience le moment idéal pour accomplir son rêve. À l' origine le chômage Interpellé sur la question, Abdoulaye Baldé, le président du Conseil de la jeunesse de Dioulacolon estime que ce fléau a pour origine le chômage. À l'en croire, un soutien de famille, devant une situation précaire, est obligé de braver les eaux pour mettre fin à la souffrance des siens. Et pour effectuer ce voyage à travers l'océan Atlantique beaucoup de jeunes, avec l'appui de leurs parents, vendent le bétail familial entre 3 et 4 vaches.
«Pour la plupart d'entre eux, le chemin pour rallier l'Espagne est synonyme de voyage sans retour. Car, ils y perdent souvent la vie. Ce qui est une double perte pour les parents et c'est le désarroi total », ajoute le porte-parole de la jeunesse de cette localité. Embouchant la même trompette, Abdoulaye Sow enseignant au collège de Dioulacolon et Vice-président du conseil rural de Tankanto escale confie que sa communauté rurale qui fait parti de l'arrondissement de Dioulacolon est le plus frappé par ce fléau. Plus de la moitié des jeunes qui ont quitté Kolda en pirogue, vient de Tankanto Escale. « Du fait de son enclavement et de sa pauvreté, les jeunes de cette localité sont le plus souvent laissés à eux-mêmes », explique le président du conseil local de la jeunesse. Il y a des jeunes qui préfèrent même mourir plutôt que de revenir au Sénégal. Une fois, une pirogue a chaviré et a fait 36 morts et tous sont de Tankanto, nous rapporte-t-on.
L'agriculture comme alternative Contrairement à ces jeunes gens qui veulent faire fortune en Europe ou ailleurs, Moussa Baldé, élève en classe de troisième par ailleurs tailleur à ses heures perdues, n'est pas tenté par l'émigration. Son seul souhait est de décrocher son Bfem pour continuer ses études . Il est de ceux qui croient que l'on peut réussir tout en restant au Sénégal. Ainsi, il compte travailler dans les structures que les autorités étatiques vont mettre sur pied. À défaut de cela, Moussa compte devenir militaire et servir sa nation tout comme son père. Un avis bien partagé par Yahya Kandé, adjoint au chef de village. Pour cet homme qui a 60 ans révolus, les jeunes d'aujourd'hui ne veulent plus travailler et aiment l'argent facile. Mieux, il trouve inexplicable qu'une région riche en ressources naturelles avec une bonne pluviométrie, soit classée comme la deuxième région la plus pauvre du Sénégal. Comme solution, le vieux préconise que les jeunes acceptent de travailler la terre. Dans ce sens, les autorités locales ont décidé de former les jeunes à la création de projets. Cette politique en faveur de la jeunesse permet de les fixer au niveau de la communauté. Par exemple, pour que les jeunes ne partent pas à Dakar ou tentent l'aventure « Barça ou Barsakh », des champs collectifs ont été initiés. Mais les semences arrivent tardivement, selon les habitants de Dioulacolon, car les autorités qui distribuent les semences calculent souvent la pluviométrie en fonction du nord alors qu'il pleut ici 15 jours ou bien 1 mois avant que le nord n'enregistre ses premières pluies. En outre en dehors de ces activités hivernales, il n'y a presque rien d'attrayant pour eux.
FATOU DIOP (Envoyée spéciale)
http://www.lematindelafrique.com
Mardi 1 Juin 2010